Depuis De Passage, je n’ai cessé d’arpenter les rues, de photographier les gens, les ruines, les traces. Par intermittences, certes, mais j’ai continué. Cette série était tout d’abord destinée à retracer ma vision à travers l’épopée que nous avons toutes et tous vécu lors de la pandémie de Covid 19.
Cependant, la classification des images n’a jamais été mon fort. Tout comme dans le cadre de mes précédentes séries, la restriction à un seul sujet est synonyme pour moi d’appauvrissement, menant à une approche tautologique du sujet lui-même. Autant se retourner, mais pas dans la même veste. Se retourner pourrait s’apparenter chez moi à tout le temps photographier la même chose, mais à des endroits différents, sur des supports différents. Il y à des variants et des invariants. Dès lors, j’ai décidé de ne pas m’imposer de sujet, mais de travailler tel un chroniqueur, un dessinateur de rue semblable au flâneur Baudelairien qu’incarne Constantin Guys dans Le peintre de la vie moderne. En travaillant selon le concept du journal intime, j’ai décidé d’arpenter les rues en en saisissant les traces. Ces traces, elles semblent chez-moi être liées à la mélancolie, à la ruine, mais une fois capturées, elles revivent et sont révélées de leur réalité par la révélation du négatif lui-même.
Walter Benjamin évoquait dans ses écrits que la photographie - tout comme le cinéma -,  a le pouvoir de révéler le réel en nous donnant à voir, à travers un phénomène d’aperception, le monde qui nous entoure au même titre que le lapsus Freudien nous révèle les pensées refoulés ou inconscientes. De manière similaire, la macro-photographie ou le cinéma de Gustav Deutsch nous porte le même message : regarder ce que l’on ne voit pas, ce que l’on ne voit plus, ou ce que l’on a pas vu, pas voulu (ou su) voir. Les traces diverses me touchent maintenant depuis longtemps car celles-ci semblent être aussi fragiles que des papillons : elles sont une période d’arborescence, de brillance, mais tôt ou tard tombent dans l’évanescence.
Concernant la trace, ont peut dire que touche chose enregistrée ou crée (matériellement, numériquement, de manière sonore) offre une trace sur quelque chose. Néanmoins, les traces que je photographie ont plutôt à voir avec la mélancolie. La photographie comme dernier rempart face à la mort, une mort spirituelle, comme disait André Bazin en parlant de son réalisme ontologique. Pour Bazin, la photographie est le modèle et agit comme un moulage du réel. Elle garde quelque chose du modèle et sauve non pas son corps, mais son âme. Je remarque que dans certaines images, les éléments sont déjà morts une fois, mais reviennent hanter le réel comme en l’attente de leur salut. Ce salut, c’est de lutter contre l’oubli, celui de leur âme, car leur corps est déjà mort une fois. Si je photographie sans cesse la même chose, c’est peut-être pour ne pas oublier ce qui m’anime, ce qui forme mes invariants.
Back to Top